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Décrypter le phytoplancton

Titulaire d'une nouvelle Chaire de recherche du Canada en géomatique, Yannick Huot cherche à comprendre la physiologie du phytoplancton pour contrer les algues bleu-vert et le réchauffement climatique

Le professeur Yannick Huot, du Département de géomatique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines.
Le professeur Yannick Huot, du Département de géomatique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines.
Photo : Michel Caron

5 mars 2009

Sandra Boissé

La dégradation des écosystèmes aquatiques est devenue une préoccupation majeure à l'échelle planétaire. Ces dernières années, les fleurs d'eau de cyanobactéries ont d'ailleurs fait maintes fois la manchette au Québec. Cependant, on entend moins souvent parler de l'impact climatique causé par ces transformations que subissent les écosystèmes aquatiques, en particulier les océans. Le professeur Yannick Huot, nouvellement arrivé au Département de géomatique appliquée de la Faculté des lettres et sciences humaines, vient d'obtenir une chaire de recherche

du Canada, entre autres pour mieux comprendre les liens entre la dégradation des systèmes aquatiques, les changements climatiques et les phénomènes de fleurs d'eau.

Les liens entre les systèmes aquatiques et les changements climatiques sont attachés aux différents groupes de phytoplanctons, des algues microscopiques et bactéries photosynthétiques. Le phytoplancton joue un rôle équivalent aux plantes sur terre : il consomme du gaz carbonique (CO2) et rejette de l'oxygène. Il est à la base de la chaîne alimentaire aquatique. Ces phytoplanctons ont aussi l'étonnante faculté de transporter le gaz carbonique de l'atmosphère au fond des océans et, par ce processus, ils peuvent jouer un rôle important dans les changements climatiques.

Les recherches du professeur Huot couvrent un large spectre allant de l'éprouvette de laboratoire pour étudier la physiologie d'espèces phytoplanctoniques clés jusqu'à l'océan mondial où l'on observe la distribution et la croissance de ces organismes microscopiques à l'aide d'imageries satellitaires.

Une mission en Arctique cet été

Dès l'été prochain, Yannick Huot participera à une mission océanographique internationale – le projet Malina – pour étudier la production phytoplanctonique en Arctique. Il souhaite plus précisément mesurer la quantité de CO2 consommé par le phytoplancton.

«Les changements climatiques perturbent tous les océans, mais les changements en Arctique sont particulièrement intenses et rapides, explique le professeur. Cet océan, qui était presque entièrement couvert de glace en été, en sera découvert dans quelques dizaines d'années, voire plus tôt. Ce qui entraînera un changement important de la quantité de lumière qui atteindra la surface et donc, influencera directement la quantité de CO2 que le phytoplancton pourra consommer.»

Durant les six semaines qu'il passera dans la mer de Beaufort, il tentera avec ses collègues d'élucider le rôle que joueront les phytoplanctons et l'implication qu'aura l'océan Arctique sur les changements climatiques globaux. Il orientera surtout ses recherches sur la photosynthèse du phytoplancton, qui a tendance à retirer du CO2 atmosphérique, alors que plusieurs de ses collègues se concentreront sur la photooxidation de la matière organique dissoute colorée (le gilvin), qui a plutôt tendance à relâcher du CO2 dans l'atmosphère. Ces deux processus, directement influencés par la quantité de lumière disponible, augmenteront certainement dans l'avenir en Arctique avec la disparition de la glace en été.

Les résultats de ces recherches, qui s'échelonneront sur quatre à cinq ans, permettront au professeur Huot de comprendre si le phytoplancton sera suffisamment productif pour contrer la photooxidation du gilvin. «Si l'augmentation de la production phytoplanctonique est suffisante, le phytoplancton pourrait contribuer à mitiger le réchauffement climatique; sinon, la disparition de la glace et l'augmentation de la lumière atteignant la surface aura comme effet d'augmenter les gaz à effet de serre dans l'atmosphère», précise-t-il.

Observatoire robotisé unique au monde

Pour arriver à ses fins, le chercheur devra tout connaître des différents types de plancton. Au printemps 2010, il déploiera un observatoire du plancton robotisé unique au monde qui lui permettra de prendre des mesures précises et continues sur l'abondance et la distribution verticale des différentes espèces phytoplanctoniques et sur les conditions environnementales (nutriments, lumière, température) qui déterminent sa croissance.

«Grâce à l'automatisation, notre observatoire nous permettra de prendre des mesures qui étaient impossibles jusqu'à présent, dit-il. Nous échantillonnerons ainsi toutes les heures pendant des mois.» Cet observatoire complètement sous-marin sera érigé dans un lac près de l'Université de Sherbrooke. Il permettra au chercheur de comprendre l'effet des changements rapides sur la capacité de certains groupes (telles les cyanobactéries) à dominer la communauté phytoplanctonique d'un lac.

Yannick Huot veut modéliser ces systèmes pour établir les facteurs clés et prédire leur évolution future. Avec son équipe, il contribuera ainsi à la compréhension de l'effet des perturbations humaines sur l'environnement aquatique et contribuera à établir une base scientifique fiable pour le développement de politiques de gestion des bassins versants.

Faire la lumière sur l'océan

En plus d'étudier le phytoplancton en laboratoire, le professeur Huot se rendra en mission à la mer de Beaufort cet été.
En plus d'étudier le phytoplancton en laboratoire, le professeur Huot se rendra en mission à la mer de Beaufort cet été.
Photo : Michel Caron

Pour extrapoler des modèles physiologiques établis lors de ses expériences en laboratoire à l'océan mondial, il utilisera les observations faites à l'aide de la télédétection satellitaire.

«Les phytoplanctons à la surface de l'eau, lorsqu'ils sont illuminés par le soleil, émettent une faible lueur rouge, la fluorescence naturelle de la chlorophylle, explique Yannick Huot. La quantité émise dépend de leur état de santé. La télédétection de cette lumière par les satellites permet quant à elle d'obtenir une image complète du globe environ tous les trois jours. En jumelant les données obtenues en laboratoire sur la quantité de fluorescence émise dans des conditions contrôlées aux données recueillies par les images satellites, nous espérons avoir accès à une quantité sans précédent d'information sur la physiologie du phytoplancton.»

Le professeur Huot espère donc qu'à l'aide de ces mesures, on pourra un jour fournir un bilan global plus détaillé sur l'état de santé du phytoplancton marin et ainsi comprendre plus précisément le rôle des océans et du phytoplancton sur le climat terrestre.

Pour le Département de géomatique appliquée et pour le Centre d'applications et de recherches en télédétection, l'obtention de la nouvelle chaire vient confirmer le caractère novateur des recherches effectuées en géomatique à Sherbrooke.